Le fisc passe à l’intelligence artificielle pour traquer les fraudeurs

Plus d'informations
il y a 5 ans 1 mois #1 par Modérateur
Pour lutter contre la fraude, Bercy déploie un superlogiciel qui croise des millions de données sur les particuliers et les entreprises. Objectif : doper les résultats en berne du contrôle fiscal.

Cet argument fait florès chez les « gilets jaunes » : les Français moyens sont accablés d’impôts alors que les riches - les multinationales, les grandes fortunes - arrivent toujours à les contourner. Un ressentiment étayé par les révélations d’évasions fiscales à grande échelle : listes HSBC, UBS, Panama ou Paradise Papers, Football Leaks… Et aussi par quelques affaires retentissantes de célèbres tricheurs, dont celle de l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac.

L’évitement illégal de l’impôt serait compris entre 80 et 100 milliards d’euros par an en France, selon Solidaires finances publiques, premier syndicat des agents des impôts. A comparer avec les 18 milliards qu’ont rapportés les contrôles fiscaux en 2017, le manque à gagner est colossal. D’autant que les résultats ont été gonflés par la contribution providentielle du Service de traitement des déclarations rectificatives (STDR). Ouverte mi-2013 et fermée fin 2017, cette cellule pour repentis fiscaux effrayés par la fin du secret bancaire en Suisse a permis d’encaisser facilement 8,3 milliards d’euros.

Mais la manne se tarit (un dernier milliard est rentré en 2018). Cependant, Bercy doit ouvrir cette année un guichet sur le même modèle pour les entreprises, qui confieraient leurs montages douteux en échange de pénalités réduites. « Ces régularisations en catimini sont un aveu de faiblesse qui fait perdre au contrôle fiscal sa mission répressive et dissuasive », tacle Véronique Pascalidès, à la CGT. Mais ça fait rentrer l’argent, alors que depuis le pic de 2015 les contrôles fiscaux rapportent de moins en moins. « Le rendement reste supérieur d’environ 10 % à l’étiage d’il y a dix ans », se défend Bastien Llorca, adjoint de Maïté Gabet, la directrice du contrôle fiscal. Quant au record de 2015, il était dû à « des affaires exceptionnelles ». Deux redressements avaient été notifiés, de 1,4 milliard à Vivendi et de 1,1 milliard à Google… qui n’ont finalement jamais été encaissés. Le premier a été abandonné, le second annulé par le tribunal administratif (le fisc a fait appel). En moyenne, Bercy ne recouvre pas plus de 50 % des sommes réclamées, soit 9,4 milliards en 2017.

3 100 suppressions de postes

Au bilan, « les résultats demeurent en retrait des ambitions affichées », a indiqué sobrement la Cour des comptes en juin 2018. Ils ne reflètent en tout cas pas l’effort de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) pour monter en gamme dans la traque fiscale. Pourtant, au fil des scandales, les gouvernements ont fait voter en dix ans pas moins d’une centaine de mesures antifraude… mais peu donnent de nouvelles munitions concrètes d’investigation aux agents. Et, dans le même temps, la DGFiP a vu ses troupes se réduire. L’engagement de Bercy de « sanctuariser les effectifs du contrôle fiscal » ne concerne que les 4 500 vérificateurs chargés des contrôles externes. Il ne s’est pas appliqué aux autres services, les chargés des contrôles sur pièces et, en amont, ceux qui cherchent les anomalies et programment les dossiers à vérifier par leurs collègues.

Depuis 2010, plus de 3 100 emplois ont été supprimés, sur environ 12 000 postes. Du coup, le nombre de contrôles baisse. « La couverture du contrôle fiscal est mitée, on perd le contact avec le terrain, déplore Anne Guyot-Welke, à Solidaires. Comme il faut faire du chiffre, on n’a plus les moyens de chasser les petites resquilles du quotidien, qui prospèrent. » Mais, à Bercy, on remarque que les réductions d’effectifs et du nombre de contrôles n’ont pas affecté le rendement. « Pour mieux faire, il faut surtout mieux cibler, juge Bastien Llorca. Aujourd’hui, près d’une vérification sur quatre n’aboutit qu’à un redressement peu élevé. C’est notre point faible. »

C’est là qu’intervient le fisc 2.0. La DGFiP pense avoir une arme fatale : son logiciel d’intelligence artificielle capable de naviguer, fouiller, trier dans une gigabase de données pour en extraire des profils suspects. Un projet industriel d’ampleur : 20 millions d’euros de budget ont été débloqués en cinq ans pour moderniser l’informatique et développer cet outil. Le logiciel a été conçu par une cellule de data mining baptisée Mission requêtes et valorisation (MRV), composée de 22 informaticiens de haut vol. L’équipe a commencé dès 2015 par réunir les fichiers concernant 5 millions d’entreprises imposables, jusqu’alors accessibles sur des applications disparates, puis à y ajouter des données publiques disponibles (dépôt de brevets et marques, registre du commerce…). En 2017, les infos des 37 millions de foyers contribuables y ont été agrégées (fiscales, bancaires, épargne, immobilier, données Urssaf, CAF, Sécurité sociale…). Et, depuis un an, les algorithmes sont au travail.

Des résultats prometteurs
« Nous avons une double valeur ajoutée, explique le chef de la cellule Philippe Schall. D’abord grâce aux multiples croisements de données, nous pouvons permettre à tout contrôleur de démultiplier la pertinence de ses requêtes » : s’il cherche à repérer des sites d’e-commerce qui escamotent la TVA, il définira 4 ou 5 critères d’alerte et obtiendra d’un coup un rapport d’analyse-risque bien plus riche que s’il avait dû lui-même faire des recoupements fastidieux. « Ensuite, nos algorithmes analysent les caractéristiques de l’ensemble des entreprises contrôlées depuis 2001, pour modéliser des indicateurs de fraude et donc identifier automatiquement des cas suspects » : la cellule peut ainsi faire passer aux agents d’une région la liste de toutes les sociétés de leur zone détectées comme ayant potentiellement dissimulé une partie de leur chiffre d’affaires, à partir d’un profil-robot de celles qui se sont fait épingler à ce propos depuis vingt ans.

A partir de ces explorations, la cellule MRV envoie chaque trimestre des milliers de dossiers dans les services locaux, en pointant ce qui a fait tiquer la machine. « Les premières étaient plutôt médiocres, critique Christophe Bonhomme-Lhéritier, à la CFDT. La courbe d’apprentissage est laborieuse. Le résultat dépend de la matière première. Or, faute de personnel, la qualité des bases de données a tendance à se dégrader. »

Les syndicats ont surtout peur que le règne des algorithmes ne soit un prétexte à accélérer les suppressions d’emplois. « Cet outil doit au contraire permettre de valoriser le travail des agents de recherche », plaide Philippe Schall, qui encourage les agents à se l’approprier. Les premiers résultats sont prometteurs. En 2018, sur 24 000 propositions de la MRV, 14 000 ont occasionné des contrôles sur pièces, rapportant 100 millions, et 6 900 ont déclenché des contrôles externes, générant 235 millions d’euros de redressements. « Près de la moitié de nos propositions ont donné lieu à vérification, contre 10 % à 20 % avec les méthodes d’analyses traditionnelles », poursuit-il.

Et les superpouvoirs du logiciel de la MRV vont être décuplés par l’afflux de données de l’étranger. Depuis un an, après les Etats-Unis, ce sont 49 pays (dont ceux de l’Union européenne) qui pratiquent l’échange automatique d’informations sur les comptes de leurs citoyens, et 53 de plus depuis le début de l’année (Suisse, Panama…). De même, les entreprises de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires sont désormais contraintes de transmettre au fisc un reporting par pays de leur activité, effectifs, bénéfice et impôt acquitté. « Nous avons pris le temps de fiabiliser ces infos mais nous commençons à les intégrer et leur exploitation ouvre de nouvelles perspectives », dit en souriant le boss des geeks de la DGFiP. L’objectif : déclencher 50 % des contrôles à partir des propositions de la MRV d’ici à 2022, contre 15 % aujourd’hui. Avec l’espoir de réduire de 25 % les contrôles sans redressement.

L’oeil sur les réseaux sociaux

Le prochain défi de ces limiers numériques : l’espionnage automatisé des réseaux sociaux. Les contrôleurs consultent déjà couramment les comptes Facebook, Instagram ou Twitter des potentiels tricheurs, à l’affût d’infos sur leur train de vie ou leur domiciliation réelle. Des redressements d’entreprises ont été notifiés sur la base de CV de cadres dirigeants sur LinkedIn habitant à Paris alors que la société prétendait ne pas avoir d’établissement en France. Et des inspecteurs entreprenants à Marmande (Lot-et-Garonne) ont même repéré des centaines de piscines de particuliers non déclarés pour la taxe foncière, grâce aux vues aériennes de Google Maps !

Mais le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, veut que ses services aillent plus loin, que le process soit là aussi industrialisé. La MRV vient d’envoyer une demande d’agrément à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) pour expérimenter le ratissage informatique des infos postées sur les réseaux sociaux…. « Il s’agit de ne compiler que les posts publics. Mais le sujet est sensible en termes de respect de la vie privée et constitue un vrai défi technique pour en extraire les infos pertinentes », reconnaît Philippe Schall. Avis aux fraudeurs, le fisc 2.0 est arrivé.

Gaëlle Macke - Challenges - dimanche 10 février 2019
Modérateurs: Modérateur
Propulsé par Kunena

Chaine Youtube

icon youtube

X (Twitter)

icon Xtwitter

FaceBook

icon facebook

We use cookies
Ce site utilise des cookies. Certains sont essentiels au fonctionnement et d’autres peuvent être placés par des services externes (captchas) intégrés. Vous pouvez décider d'autoriser ou non les cookies. Si vous les rejetez certaines fonctionnalités seront désactivées comme par exemple les vidéos YouTube et des problèmes d'authentification pourront alors survenir.